BMCR 2005.04.25

Critica e polemiche letterarie nei Giambi di Callimaco. Hellenica 13

, Critica e polemiche letterarie nei Giambi di Callimaco. Hellenica ; 13. Alessandria: Edizioni dell'Orso, 2004. 156 pages ; 24 cm.. ISBN 8876947450. €15.00.

En 1999 Arnd Kerkhecker1 pouvait écrire dans l’introduction de son édition commentée que les Iambes de Callimaque avaient jusqu’à cette date attirés assez peu l’attention des spécialistes, qui consacraient surtout leurs efforts aux Aitia et aux Hymnes du poète alexandrin. Depuis, Benjamin Acosta-Hughes a publié en 2002 un ouvrage fondamental qui situait les Iambes dans la tradition de la poésie iambique archaïque et dans le contexte de la production poétique hellénistique.2 Ce livre comportait six chapitres qui étaient autant d’essais interprétatifs. Emanuele Lelli (EL ci-après) à travers les quatre chapitres qui composent son essai démontre que l’interprétation en termes exclusivement éthiques des Iambes qui prévalait jusqu’alors conduit à se fourvoyer. Selon EL l’interprétation en termes éthiques est induite par les transformations du genre iambique opérées par les poètes latins. Le sujet des attaques de Callimaque seraient exclusivement les membres du Musée, les érudits contemporains. Les polémiques littéraires seraient exprimées more iambico, filtrées par l’ironie et les jeux sur les points de vue. EL s’intéresse à l’aspect métalittéraire des Iambes, contre une lecture exclusivement éthique de ces poèmes.

Le chapitre I, p. 7-22 s’intéresse au Iambe I — entendu comme le prologue des Iambes I à XIII pensés comme un recueil — et plus particulièrement à la surprenante déclaration d’Hipponax revenu d’entre les morts pour affirmer aux savants du Musée réunis pour la circonstances qu’il n’apportait pas de poème chantant la bataille boupaléenne, c’est-à-dire ne comportant pas de violente attaque ad hominem. Cependant cette déclaration ne peut être qu’ironique car les attaques ad homines, mêmes cryptées, masquées, n’ont pas disparues des Iambes de Callimaque. Les vers 78 et suivants du Iambe I, bien que lacunaires, laissent reconstruirent des attaques conduites contre des philologues-poètes, en une sorte de catalogue négatif. Ces attaques ne sont pas génériques, mais personnelles, ainsi que l’atteste la scholie au vers 82. Le rôle d’Hipponax est de signaler la ligne principale de l’oeuvre, à savoir une critique littéraire accompagnée de violentes attaques personnelles. Son attitude paradoxale — il invite à l’apaisement, puis redevient le poète de l’invective — souligne le caractère sérieux et comique de l’oeuvre qui, par rapport à la tradition iambique, a changé de destinataire et d’objet, mais a conservé la vis polemica.

Le chap. II, pp. 23-82, consacré aux rapports entretenus par la fable avec la critique littéraire dans les Iambes II et IV, est le plus détaillé. Alors que la fable d’Esope 322 Cha., qui est à l’origine du Iambe II, véhiculait un message éthique, le poème de Callimaque véhicule une critique d’ordre polémico-littéraire. Chez Callimaque ce n’est pas le caractère des animaux qui est transféré aux hommes, mais leur voix. Ce changement significatif serait l’indice de la référence littéraire et du déplacement du champ de la critique. L’Iambe IV qui raconte la querelle de l’olivier et du laurier est une variation de la fable 324 Cha. (= 64 Babrius). En effet Callimaque a inserré dans le récit l’intervention du pied de ronce et la discussion des deux oiseaux qui, indirectement, donnent la victoire à l’olivier. La symbolique poétique attribuée à chaque arbre et les références internes aux autres oeuvres de Callimaque montrent que le débat est celui du renouvellement du genre épique. A l’olivier-Callimaque, promoteur de l’épillion (l’Hécalé), s’oppose le laurier, Apollonion futon, i. e. Apollonios de Rhodes. Le pied de ronce serait le représentant de l’epopoiia traditionnelle, le paradigme du poète cyclique. La polémique aurait donc pour objet le genre roi: la poésie épique et opposerait les deux représentant des expérimentations hellénistiques: Apollonios de Rhodes et Callimaque. Le caractère marginal du pied de ronce indiquerait que cette polémique concerne ici le cercle étroit de ceux qui ont accepté les nouveaux canons littéraires. Callimaque et Apollonios de Rhodes sont en effet en accord sur l’élégance du style, les techniques de l’allusion et l’emploi de l’étiologie.

Au chapitre III, pp. 83-122, EL montre que les relations érotiques peuvent signaler symboliquement des prises de position pédagogiques, politiques ou des programmes littéraires. Les rapports maître-élève exposés dans le troisième Iambe ne sont pas exclusivement érotiques. La mère conduit son fils chez Callimaque pour l’éduquer, mais elle se rend compte que ce n’est pas un investissement rentable et qu’il vaut mieux qu’il fasse profession de sa beauté. Callimaque est certes un poeta pauper, mais non un poeta pauper amator. Le thème de la Muse pauvre est connexe au refus de la poésie mercenaire. Ce refus est à analyser dans le cadre des nouvelles relations qui s’établissent à la période hellénistique entre les poètes et les souverains à la cour des Ptolémées. L’ Iambe V développe la métaphore du char et du feu qui est à entendre en un double sens: érotique et métapoétique. La diégèse identifie les maîtres d’école avec Apollonios de Rhodes et Cléon, le point commun entre ces deux auteurs étant bien entendu leurs poèmes argonautiques. Par la métaphore du char, Callimaque suggère à son interlocuteur de ne pas faire un second tour de borne avec son char, ce qui suppose une première fois. Or la Vita A d’Apollonios de Rhodes indique que deux éditions des Argonautiques furent réalisées et que la première fut très mal accueillie. La Vita B permet de comprendre l’allusion ironique au maître d’école: Apollonios excerça la fonction de rhéteur; après la première lecture publique des Argonautiques, Callimaque le présenterait de façon déclassée.

Le chapitre IV, pp. 123-134, s’intéresse au Iambe XIII, à travers l’analyse de la polyeideia. Homère est le paradigme du connaisseur par expérience de tous les dialectes. Callimaque place dans la bouche de ses adversaires sa confrontation implicite avec Homère. Le poète alexandrin ne veut pas nier la valeur d’Homère, mais acquiert renommée et prestige de cette confrontation. La polémique porte sur l’écriture poétique: effet de l’enthousiasme (au sens propre) ou de la technè? Callimaque, poète-philologue par excellence, se situe bien-sûr dans le deuxième cas.

L’essai d’EL est un ouvrage d’une remarquable rigueur philologique qui renouvelle l’approche de ce recueil dont la complexité peut parfois dérouter. L’analyse des références métapoétiques appliquée par EL aux Iambes incitera peut-être d’autres chercheurs à s’interroger sur le cryptage des références métapoétiques dans d’autres poèmes de Callimaque. L’ouvrage d’EL ouvre de nouvelles perspectives de recherche.

Notes

1. A. Kerkhecker, Callimachus’ Book of Iambi, Oxford Classical Monographs, 1999.

2. B. Acosta-Hughes, Polyeideia. The Iamb of Callimachus and the Archaic Iambic Tradition, University of California Press, Hellenistic Culture and Society XXXV, 2002.