BMCR 2007.10.28

Democritus: science, the arts, and the care of the soul

, , Democritus: science, the arts, and the care of the soul: proceedings of the International Colloquium on Democritus, Paris, 18-20 September 2003. Philosophia antiqua, v. 102. Leiden: Brill, 2007. 1 online resource (vi, 348 pages). ISBN 9789047409724. €109.00.

[Authors and titles are listed at the end of the review.]

Le recueil est le résultat d’un colloque international qui s’est tenu à Paris en septembre 2003. Les onze contributions sont précédées d’une introduction et complétées par une bibliographie générale pour l’ensemble de l’ouvrage (293-307) et par trois index (Nominum (309-319), Rerum (321-326) et Locorum (327-348)).1

Déjà au premier coup d’oeil, le livre se présente comme un ouvrage beau et solide. Les contributions sont publiées en anglais et en français. Le grec est plutôt reproduit que translitteré (en différentes proportions dans différents textes). La première chose qui attire l’attention c’est l’inégale longeur des textes — le plus long a soixante-six pages, soit presque un quart de l’ensemble des contributions, et le plus court n’en a que dix.

L’Introduction (1-9) de Brancacci et Morel en plus d’une présentation de l’ouvrage contient un compte rendu — à ne pas manquer et qui pourrait même constituer une contribution séparée — des recherches menées sur Démocrite. Deux phases y sont à distinguer, la première avec des noms comme Hegel, Zeller, Überweg, Lasswitz, Windelband, Mullach, Nietzsche, Cohen, Gomperz, Natorp, Lortzing, Hirzel, Diels. La seconde n’est survenue que dans les années 80. du XXe siècle. Entre les deux on ne peut citer que deux hommes qui se sont intéressés à Démocrite: Alfrieri et Luria.2 Bien que la première vague soit plus impressionante par les noms qui la représente, elle a eu ce trait caractéristique que “Democritus was considered exclusively for and, so to speak, in the light of his atomic theory” (2). C’est seulement vers la fin du siècle précédent que cette perspective commença à être modifiée, d’abord par une première conférence à Catane en 1979, ensuite par une seconde à Xanthi en 1983. La conférence de Paris est donc la troisième du courant qui dépasse la perspective réduisant Démocrite à l’atomisme seul. Toutefois ses organisateurs ont décidé de ne pas suivre l’exemple des deux rencontres précédentes, d’exclure la tradition démocritéenne du IVe siècle mais “to concentrate on Democritus and on themes on which it is legitimate to expect new contributions and, finally, new interpretive suggestions” (1). Comme le montre l’ouvrage cette décision peut être considére comme heureuse parce qu’il comprend un vaste panorama des questions liées à la personne et à la philosophie de Démocrite. Les contributions y sont réparties de telle manière que le tout présente une sorte d’encyclopédie démocritéenne. A côté du problème de la chronologie et du contenu des écrits de Démocrite on a affaire à son éthique, psychologie, sciences naturelles, physique, théorie de musique et littéraire, médecine et agriculture et aussi ses rapports avec les deux plus grandes écoles de l’époque: l’Académie et le Lycée.3

Le premier texte est celui de W. Leszl, “Democritus’ works: from their titles to their contents” (11-76). C’est peut-être paradoxal mais ce texte si long qu’il ne pourra pas être présenté ici de manière proportionnelle par rapport aux autres textes) est passionnant dans sa manière d’exposer les éléments relatifs au catalogue de Thrasylle, c’est-à-dire les titres des écrits de Démocrite qu’il transmet, l’organisation et le but de catalogue, son origine et la relation avec quelques autres catalogues. L. revoit également le contenu des écrits de Démocrite, en particulier de l’ouvrage intitulé Confirmations et les écrits de l’authenticité douteuse ou qui sont le plus probablement inauthentiques, et, comme derniers, des ouvrages Conseils et Sur la joie. Il importe de signaler que L. se prononce pour l’authenticité de la soi-disant Collection de Démocrate. La revue de L. est une excellente introduction à Démocrite car L. ne se limite pas à l’analyse des titres mais il discute le problème de relation du contenu d’un écrit avec son titre, l’origine du titre, la question de l’authenticité etc. Le seul regret qu’on pourrait avoir c’est peut-être de ne pas trouver une visualisation, sous forme de tableau par exemple, de tous les résultats quantitatifs obtenus par L. Durant son examen L. prend en considération les points de vues des autres spécialistes, le plus souvent, à ce qu’il me semble, de F. Nietzsche. Le texte de L. est celui qui cite le plus grand nombre des auteurs et des fragments de Démocrite. L’utilité et la maniabilité du texte de L. sont prouvées de manière directe dans le volume même par le fait que les autres auteurs s’y sont référés.

Après le plus long texte, vient le plus court: “Democritus and Lucretius on death and dying” (77-86) de C. C. W. Taylor qui y compare les positions de Démocrite et de Lucrèce (en particulier De Rerum Natura III) quant au problème de la mort. En réalité, Démocrite devait être critiqué par les Epicuriens pour avoir soutenu que la sensation peut durer après la mort. Mais comme le montre T. sa position était plutôt d’affirmer que “in some cases where death is supposed to have occurred it has not actually occurred” (79). Ainsi Démocrite et Epicure avaient des conceptions différentes de l’âme, plus particulièrement de sa constitution. Pour l’un et l’autre, elle est composée d’atomes, mais pour chacun des deux cette organisation d’atomes est différente (atomes du même genre selon Démocrite et atomes de genres différents selon Epicure). Si toutefois “The Epicurean account of the soul thus represents a major advance over that of Democritus, in its recognition that consciousness is the activity of an integrated system” (85) (ce qui est l’anticipation de la doctrine de Descartes), la position de Démocrite est plus proche de ce que “modern science has shown actually to occur, viz. the return to life of someone who satisfies all the criteria, save that of irreversibility, of clinical death” (86).

Un autre texte en rapport avec la psychologie et l’éthique de Démocrite est celui de J. Warren, “Democritus on social and psychological harm” (87-104). Sa prise de position est explicitée dès le début: regarder “Democritus as a eudaimonist thinker who presented in familiar fashion a telos of life … is an anachronistic reading of Democritus” (87, n. 1) W. envisage d’analyser “a number of his pronouncements about how we should manage and avoid criminal and other harmful acts” (89) pour finir par “offering some methodological remarks on the prospects for further work on the question of the interrelation between Democritean ethics and physics” (90). Démocrite était partisan d’une “emanation theory of vision in which our organs are stimulated by effluences” (96). Ainsi les mauvais états de l’esprit peuvent influencer de manière directe les autres gens surtout qu’il peut y avoir “interaction between body and soul such that intentions and thoughts can produce bodily effects” (96). C’est la raison pour laquelle Démocrite était hostile non seulement à qui agissait mal mais aussi à qui avaient de mauvaises intentions, parce que ces intentions peuvent nuire même si elles ne se réalisent pas. Elles s’expriment dans les eidola qui sont la cause des bénéfices et des torts psychiques. A la question importante concernant la liaison de l’éthique de Démocrite avec sa physique (“did Democritus derive this view of the effects of interpersonal relationships from his physical theories, or did he construct his physical and psychological theory in order to account for an independently recognized psychological phenomenon?” (102)) W. ne répond pas faute de données pertinentes.

Avec P.-M. Morel, “Démocrite et l’objet de la philosophie naturelle. A propos des sens de φύσις chez Démocrite” (105-123) on passe à la physique de Démocrite. Si la philosophie de Démocrite est pour M. une philosophie de la nature, il se demande néanmoins “quel type de ‘physicien’ est en réalité Démocrite” (106), surtout parce que “la notion présocratique de nature est loin d’être univoque” (107). M. distingue trois sens particuliers de ce mot présocratique (“comme matière primordiale … comme processus et en particulier comme génération … comme l’ensemble des choses telles qu’elles sont et des forces ou lois qui les régissent” (107)). Les fragments de Démocrite, même s’il y en a trop peu pour répondre de manière définitive à la question posée, attestent les contextes dans lesquels φύσις se montre dans plusieurs sens distincts. En tout, on dispose de 12 occurrences, dont la majorité ne concerne pas la physique mais l’éthique, la distinction étant claire, même si on ne veut “rien présupposer quant à la distinction que Démocrite lui-même aurait faite entre des ‘disciplines’ telles que l’éthique et la physique” (114). (D’après M. dans les fragments de Démocrite on peut trouver “des traces, à [s]on sens indiscutables, de descriptions physiques des états mentaux et de certains comportements moraux” (114).) Plusieurs fragments permettent d’ajouter aux trois sens mentionnés de la φύσις un quatrième: “au sens moins technique d’aptitude individuelle” (119). Finalement M. constate une divergence entre les fragments de Démocrite et les témoignages: c’est uniquement dans ces derniers que “la nature désigne directement le Tout” (119), tandis que chez Démocrite (et chez Leucippe également) le terme le plus général est la ‘Nécessité’. Pour cette raison M. croit qu’il faut se montrer prudent quant au jugement sur le type de la physique démocritéenne car “le concept de ‘nature’ nous apprend très peu de choses sur l’objet de la philosophie naturelle de Démocrite” (121). M. conclut: “La nature, en un mot, désigne toujours une forme de stabilité dans le cours même du devenir” (122).

Le texte de J. Salem, “Perception et connaissance chez Démocrite” (125-142) est un autre texte intéressant de ce recueil. Il concerne la problématique psychologique ou épistémologique (il est présenté cependant dans l’introduction comme “on physics” (7)). S. y examine la théorie démocritéenne de perception. La question générale posée par S. est: “y aurait-il eu deux versions de la théorie des simulacres?” (125). La réponse donnée par S. est positive. Après avoir signalé que “‘Phénomène’, chez Démocrite, ne signifie pas ‘apparence’, mais, bien plutôt ‘ apparition‘ (132), M. passe à la théorie de connaissance de Démocrite et examine le rapport de ses deux positions opposées, la première selon laquelle “‘le vrai est dans les phénomènes'” (132) et la seconde selon laquelle “… ‘aucun phénomène n’apparaît conformément à la vérité” (133). S. souligne le fait que si Démocrite appelle la connaissance fondée sur les sens ‘bâtarde’, cela ne veut pas dire forcément qu’elle est trompeuse. Cet adjectif doit être plutôt entendu dans son sens juridique: “la ‘bâtardise’ n’est jamais qu’une espèce quelque peu oblique de la filiation” (135). D’après S. la connaissance bâtarde signifie “un produit de la mésalliance du Vrai avec le Faux” (135). Par là-même S. refuse d’interpréter Démocrite comme un sceptique, et tout au contraire, il parle d’une réhabilitation des sens par Démocrite. Le quatrième chapitre de l’article est intitulé “Le rationalisme de Démocrite” (138) Et pourquoi pas “rationalisme et sensualisme”, d’autant plus que S. le conclut comme suit: “la connaissance des réalités ultimes par l’esprit dérive bel et bien selon Démocrite d’une inférence fondée, en dernier ressort, sur les données délivrées par les sens” (140)? (La dernière page est consacrée au problème de la comptabilité de la théorie de connaissance de Démocrite avec les mathématiques démocritéennes.)

Puisque la contribution de Démocrite à la zoologie n’est toujours pas suffisamment examinée, L. Perilli dans son texte “Democritus, zoology and the physicians” (143-179) entreprend “to give a more substantial character and, above all, historicity to his investigations, aiming at a reconstruction of the framework and of the network of connections in which his explorations are inscribed” (145). Apparemment Démocrite n’a pas fait de découverte exceptionnelle. Il a contribué plutôt à une nouvelle compréhension fonctionnelle de la zoologie et à montrer qu’on pouvait s’en servir pour tirer des conclusion pour l’homme et le monde. P. examine les différentes interférences entre Démocrite et la médecine hippocratique et signale certaines ressemblences à cet egard. Suit l’examen d’un autre parallèle, celui avec la science égyptienne. En répondant à la question “what was Democritus contribution to the study of animals, and how original was it?” (159), P. dit que son rôle n’a pas été éminent à cet égard. L’examen des fragments conservés le confirme. Ensuite P. passe à la classification des êtres vivants par Démocrite et à des domaines particuliers comme embriologie, reproduction et hérédité. C’est là que P. prend la même position que les historiens de la médecine sur la question de l’influence supposée de Démocrite sur la traités médicaux — P. l’exclut. L’apport original de Démocrite se trouve ailleurs: “atomism adds the qualities of form and dimension, which become decisive for living organisms as well as for any other thing … The introduction of the concept of atom gives also to biology the notion of a minimum morphological unit …” (170). Démocrite n’est pas non plus à l’origine de la théorie de quatre humeurs en quoi il ne faisait que suivre les accomplissements de la médecine de son époque mais aussi de la tradition et de la sagesse populaires. L’avant-dernière partie du texte concerne la croissance des cornes (là, aussi l’influence de Démocrite sur Hippocrate est improbable). Pour équilibrer la réponse à la question quant à la contribution de Démocrite à la zoologie, P. est d’accord avec Aristote: “Democritus’ real contribution must be sought in his remarkable interpretative effort of natural phenomena, of physics, since he was the first to realize the importance of defining the essence of things, of going beyond a purely phenomenological survvey of data” (176). La conclusion finale de P. est “Democritus is not a zoologist, nor do his observations in themselves, as far as we can judge, offer a very original contribution. In this field, his role appears to be philosophical rather than scientific” (179).

Le texte “Democritus’ Mousika” (181-205) de A. Brancacci concerne le quatrième groupe du catalogue thrasyllien des écrits de Démocrite. B. commence par rappeler que le mot μουσική a en grec deux sens: “a more limited sens, meaning the arts of sounds, and a wider one, meaning not only music … but also poetry, even extending to dance” (182). De ce second sens il résulte que μουσικά comprend “the works devoted to the study and criticism of music and poetry, and the elements included in each of them: in the case of poetry, the study of poetic theory (but also language)” (183). Selon B. Démocrite a été le premier à élaborer une réflexion systématique au sujet de l’esthétique et de la critique littéraire et musicale. B. considère le contenu des ouvrages de Démocrite sur la musique et sa conception de la musique qu’on peut trouver principalement dans La petite cosmologie (= DK 68 B 5), et ensuite ses écrits sur la poésie, pour en venir finalement à la théorie poétique de Démocrite. Le fragment B 18 de Démocrite contient la plus ancienne occurrence du mot ἐνθουσιασμός, mais l’idée qu’il exprime “referred back to the most ancient Greek poetry, to Homer” (203). Cependant selon Démocrite le fruit de la création poétique n’est pas la vérité mais la beauté. B. finit par comparer la conception de Démocrite avec celle de Platon: malgré certaines ressemblances qui montrent que Platon a connu le plus probablement la conception de Démocrite, il existe une différence essentielle – à savoir le concept de μανία, de grande importante chez Platon dans la technique poétique mais qui est absent chez Démocrite.

Le point de départ de M. L. Gemelli Marciano, “Le Démocrite technicien. Remarques sur la réception de Démocrite dans la littérature technique” (207-237), est de recuser ce présupposé qui fait croire que chaque témoignage sur Démocrite n’ayant pas de trace d’atomisme est suspect — c’est ainsi qu’on est porté à croire que “Démocrite ne pourrait pas avoir traité d’agriculture” (207). Par les traités techniques G. M. comprend la littérature médicale et la littérature relative à l’agriculture. Après avoir considéré le contexte historique du dernier quart du Ve s. (où “les médecins se défendent contre l’invasion des ‘savants’ dans leur domaine” (208)) et montré qu’à cette époque le vrai technicien était reconnaissable “à l’épreuve de la pratique” (209), elle constate que Démocrite est le premier savant qui s’intéresse aux questions techniques dans ses écrits. En ce qui concerne la réception de Démocrite dans la littérature médicale, G. M. considère le problème comme “très complexe” et au lieu de répondre directement elle préfère donner l’exemple d’ “un emprunt lexical dans le corpus hippocratique, qui a sans doute été tiré de Démocrite et qui semble avoir échappé à ceux qui ont traité le sujet” (213). L’adjectif en question est ναστόν. G. M. consacre une dizaine des pages à la place de Démocrite dans la littérature hippocratique ultérieure, ainsi qu’elle traite la question du Pseudo-Démocrite. La partie suivante est consacrée en entier aux Geoponica (où G. M. identifie approximativement ce qui revient à Bolos et ce qui remonte à Démocrite). Toutefois le problème majeur est la pauvreté des sources qui ne permet pas avec une certitude absolue de faire des attributions à Démocrite. Mais il ne faut pas non plus être trop sceptique et y appliquer comme critère autonome le fait de savoir si un fragment contient ou non des éléments liés à l’atomisme — la case dans laquelle, trop souvent, on essaie inutilement de mettre Démocrite. L’examen prudent des écrits techniques de Démocrite conduit G. M. à la conclusion que “On ne doit pas rejeter totalement cette part non atomistique, non ‘philosophique’ de sa pensée, en se contentant de la classer sous la rubrique ‘pseudo'” — au contraire “Il faut étudier les textes qui en relèvent, parce qu’ils nous invitent à reconsidérer également le Démocrite philosophe et sa doctrine” (237).

D. O’Brien avec son “Démocrite à l’Académie?” (239-263) ouvre la dernière partie du volume, consacrée au Nachleben de Démocrite. O’B. reconstruit un parcours compliqué d’un Epicure platonisant. En effet, Epicure a modifié la théorie démocritéenne “de la ‘forme’ ou de la ‘figure’ des atomes” (241). Selon Aristote les différences de forme seraient pour Démocrite infinies (ou innombrables) – d’après Epicure elles seraient insaissisables mais pas infinies. O’B. souligne que la “conséquence de l’innovation doctrinale apportée par Epicure à la théorie des premiers atomistes … a échappé à une bonne partie des commentateurs, tant anciens que modernes, qui mettent sur le compte de Démocrite l’existence d’atomes très grands, voire gigantesques” (246). Le problème historique intéressant est que les doxographes et les commentateurs ont prêté à Démocrite cette innovation d’Epicure et, en conséquence, lui ont attribué “la théorie d’une multiplicité infinie de formes” (247). Ce qui est commun à Démocrite et à Epicure c’est qu’ “aucun atome ne dépasse le seuil de la perception sensible” (248). Ce qui les distingue, en revanche, c’est que pour Démocrite les différences de forme d’atomes sont infinies ce qui n’est pas le cas d’Epicure. C’est donc une nouvelle conception dont O’B. va chercher l’origine. D’après Simplicius si Epicure a modifié la conception de Démocrite c’est pour éviter les objections d’Aristote vis-à-vis de la théorie de Démocrite. Mais est-ce qu’en s’opposant à Aristote Epicure n’est pas retombé dans le champ de l’Académie? Afin de pouvoir le considérer O’B. passe en revue la théorie des éléments exposée dans le Timée, ou plus exactement il reconstruit la théorie qui chez Platon n’est qu’implicite. Il arrive ainsi à montrer: “la théorie de Platon et celle d’Epicure se fondent-elles, toutes deux, sur l’existence de particules … d’une dimension minimale et de taille égale” (255). La suppositon qui résume le parcours captivant de O’B. est qu’ “il est fort possible qu’en formulant cette doctrine dans le Timée, Platon se soit inspiré de Démocrite” et plus: “Ce ne serait donc qu’un juste retour des choses si, voulant corriger la théorie primitive, Epicure s’était inspiré de Platon” (256). Le texte de O’B. est suivi par deux notes complementaires, la première étant une réponse à P.-M. Morel sur la taille des atomes, la seconde concernant les ‘limites’ et ‘parties’ dans les atomes d’Epicure.

Après Epicure à l’Académie c’est le tour de Démocrite au Lycée: A. Jaulin, “Démocrite au Lyceé: la définition” (265-275). L’idée de la redevance d’Aristote à Démocrite plus qu’à Platon est reconnue depuis longtemps mais pour la plupart elle est limitée aux ‘raisons physiques’. J. l’étend à la matière de définition. De la sorte “Démocrite, plus que Platon, serait ainsi, pour la question de la définition, l’interlocuteur privilegié d’Aristote” (266). J. se penche sur le “rôle précurseur de Démocrite dans le domaine des définitions” (267). En particulier Aristote aurait profité des découvertes démocritéennes en ce qui concerne la théorie des différences, le fondement de sa propre théorie de la définition. Il s’agit de “trois différences démocritéennes: figure, position, ordre” (270). Ce qui est important chez Démocrite pour Aristote c’est “l’adverbe de manière … dont l’originalité … réside dans un intérêt pour le ‘comment’ ( πῶς)” (271). J. va jusqu’à affirmer que “Démocrite et non Platon est donc l’ancêtre de la théorie aristotélicienne de la définition” (273). Et plus encore, en évoquant les recherches de Démocrite sur la physis et la réception d’Aristote de ces recherches, J. conclut que “on peut … parler de mécanisme, non de matérialisme” (275) de Démocrite afin de comprendre mieux qu’ “Démocrite est donné comme un prédécesseur dans la recherche du τὸ τί ἦν εἶναι” (275).

Le volume est couronné par l’article “Out of touch. Philoponus as source for Democritus” (277-292) de J. Mansfeld. C’est une coda qui se distingue des autres articles par son caractère moins général, le sujet traité étant un témoignage de Jean Philopon. D’après cette source – et elle est la seule à l’affirmer — les atomes ne se touchent pas étant donné qu’ils sont séparés par le vide. M. cherche à savoir où Philopon a pu puiser cette information. Cela ne pouvait être qu’Aristote parce qu’à cette époque (qui est aussi celle de Simplicius) le corpus Democriteum devait être déjà perdu. Chose curieuse, ailleurs Philopon soutient que les atomes se touchent. Suit un examen détaillé de l’itinéraire par lequel l’information en question a pu se former. On peut en conclure que Philopon manquait en quelque sorte de compétence philosophique (“Philoponus … merely combines … two types of causes: first examples of necessary ones, then fortuitous ones. A comparison of these two passages betrays his exegetical opportunism, or ad-hoc-ism” (284)). Si cependant Philopon déformait le témoignage d’Aristote c’est parce qu’il le comprenait littéralement “acting and being affected according to the Atomists” (287) mais aussi parce que “Aristotle’s not always lucid exposition of the differences between ‘continuous’, ‘contiguous’ and ‘successive’, and his use of this terminology in various places” (290).

Il est un devoir pour celui qui prépare le compte rendu d’exposer ses remarques critiques – ici l’obligation est une tâche plutôt ingrate étant donné la haute qualité des contributions et du volume en général. A part le prix, la question de plus en plus signalée par les critiques de la Bryn Mawr Classical Review — dans le cas présent il faut compter sur les bibliothèques pour que les étudiants et les personnes intéressées à Démocrite puissent y avoir un accès facile – les fautes typographiques sont rares et ne concernent pas tous les articles.4

On pourrait peut-être dire qu’il est dommage qu’en citant le fragment 68 B 262 de Démocrite on ne signale pas au lecteur que la leçon νόμον est une correction de νόον des manuscrits ce qui dans ce cas n’est peut-être pas sans importance. On pourrait évoquer, ce qui importerait surtout pour un interprète heideggerisant, la remarque de Heidegger qu’il ne convient pas de traduire le grec φύσις par le latin natura. On aurait pu prendre en compte la solution de Dumont qui pour résoudre la contradiction des opinions de Démocrite sur le rôle des sens propose une solution à la Jaeger. Enfin ce qui peut sembler un peu trompeur c’est l’idée du “care of the soul” placée dans le titre: seulement une petite partie du volume s’y rapporte de manière stricte. Plus important est de féliciter A. Brancacci et P.-M. Morel d’avoir réussi un guide compétent sur Démocrite avec une qualité telle qu’il est conseillé qu’il de le lire aussi bien aux spécialistes qu’aux amateurs. Enfin le livre est agréable voire sympathique et facile à lire sans être simpliste. Il conjugue la compétence pointée sur les détails avec la vue en coupe.

CONTENTS

1. W. Leszl, “Democritus’ works: from their titles to their contents”

2. C. C. W. Taylor, “Democritus and Lucretius on death and dying”

3. J. Warren, “Democritus on social and psychological harm”

4. P.-M. Morel, “Démocrite et l’objet de la philosophie naturelle. A propos des sens de φύσις chez Démocrite”

5. J. Salem, “Perception et connaissance chez Démocrite”

6. L. Perilli, “Democritus, zoology and the physicians”

7. A. Brancacci, “Democritus’ Mousika

8. M. L. Gemelli Marciano, “Le Démocrite technicien. Remarques sur la réception de Démocrite dans la littérature technique”

9. D. O’Brien, “Démocrite à l’Académie?”

10. A. Jaulin, “Démocrite au Lyceé: la définition”

11. J. Mansfeld, “Out of touch. Philoponus as source for Democritus”.

Notes

1. Dans la bibliographie il n’y pas de distinction entre les sources et la littérature secondaire mais l’Index Locorum y rémedie partiellement bien que les éditions n’y soient pas toujours données.

2. Il est peut-être dommage de ne pas signaler dans cette Introduction d’autres travaux comme ceux de Langerbeck (1935, 1967), Castelnuovo (1948), Krokiewicz (1960) et Cole (1967), le dernier étant cité dans la bibliographie.

3. On pourrait regretter que parmi “relatively neglected areas of research on Democritus” on ne trouve pas de contribution sur les rapports entre Démocrite et les Stoïciens.

4. Par ex. 52, n. 52: desirer; 117: l’idée une modification; 136, n: 67: refusa-t-il [elle?]; 160: as fas as; 167, n. 36: démeler; 213 n. 17: Jouanna (1990) [et 1992 selon la bibliographie]; 218, n. 33: Mansfeld (1990) [et 1990a selon la bibliographie]; 223, n. 53: des ces; 225, n. 60: Jouanna (1974) [absent de la bibliographie]. A noter également (214, n. 19, 219, n. 40, 235, n. 89) la notation curieuse: Lur’e (s’agit-t-il de Luria ?). La référence du livre de Brancacci sur Antisthène que l’on on ne trouve pas dans la bibliographie est heureusement donnée en note.